Il était une fois quatre gars vraiment, mais alors là, vraiment frustrés.
Étudiants en histoire de l'art, photographie et design graphique (on appelait ça du graphisme), les quatre kids décidèrent de fonder un magazine sur l'art dont les textes ne ressembleraient pas à une notice de montage en serbo-croate pour intello trippant sur Louis Marin. Entre deux hamburgers spécial Paryse et sept peines d'amour, ils se mirent au travail.
Après deux mois, le premier numéro était prêt. Une merveille de 20 pages avec un format de 24 pouces par 30, des textes pas trop cons (enfin c'est ce qu'ils croyaient) et une facture tellement eighties que même les deux wannabe de Parachute allaient en baver d'envie.
'C'est alors que nos quatre héros, épuisés par ce travail titanesque, allèrent prendre du bon temps au Lux sur St-Laurent, pas trop loin de la blonde d'entre eux qui habitait sur Fairmount, mais ça c'est une autre histoire... Bref, c'était un vendredi après-midi.
Et que trouvait-on sur l'étal de magazines à gauche ? Un magazine du même format, avec le même nombre de pages, avec la même qualité graphique (soyons francs, un peu mieux) qui lui aussi s'adressait directement à la superficialité de la crowd des années 80 (avec de la pub en plus).
Devant le destin, les quatre décidèrent que puisque l'idée avait été prise (pas volée, prise), ils ne dépenseraient pas 1 765 dollars en imprimerie pour ensuite se faire dire qu'on leur avait volé un concept.
Il était une fois quatre gars vraiment, mais alors là, vraiment cons.
Presque à la retraite, nos quatre anti-héros (c'est plus joli que nos quatre arthritiques) se remémorent une fois par mois, dans un buffet chinois, parce que le Lux et la Paryse n'existent plus, les affres de leur folle et chevelue jeunesse.
Le plus bête d'entre eux proposa de reprendre le projet avorté (remarquez que la cause de l'avortement n'a pas fait long feu, mais tout de même, les photos étaient superbes) et les trois autres, tout aussi bêtes, de le suivre.
Bien sûr, tout avait changé. Le vide des années 90 était passé par là, les vrais photographes n'existent plus et pour ce qui est des designers graphiques, on n'en parle même pas... Même la blonde de la rue Fairmount passait maintenant six mois par année en Floride et marchait avec une canne.
Dans le sous-sol de l'historien se trouvaient encore les mécaniques. La réalisation qu'ils n'étaient pas si hot que ça finalement fut imminente.
Persuadés que leur génération était la meilleure (croyance sans fondement, s'il en est une), ils décidèrent de se relancer afin de prouver une fois pour toutes qu'ils étaient en chemin pour la démence. Même l'un d'entre eux décida d'entreprendre des études en muséologie.
Donc, maintenant que la fois n'est plus vraiment la fois mais maintenant.
Nous laissons la place aux écrits que nous ne comprenons pas, aux opinions qui nous dépassent, aux crises de vedette apocalyptiques, tout en réalisant que finalement, pas grand-chose n'a changé. Nous croyons que les artistes doivent avoir le droit de critiquer le travail des autres et que ce n'est pas parce que c'est exposé dans une institution que c'est forcément bon. Nous aimons le design graphique équilibré, la typographie pas trop baveuse et la photographie bien exposée.
Nous avons la croyance idiote que l'art est partout et que chacun le regarde à sa façon, aussi débile et non-analytique soit-elle. La conviction que le design intrinsèque d'un hot-dog est aussi intéressant que l'iconographie d'une crise existentialiste d'un pseudo-artiste travaillant en grand format est claire, prouvée et approuvée.
Quatre fois par an, nous tentons de publier un magazine, surtout sur papier, sur l'art... Oui, nous savons que nous avons un problème, un problème qui consiste à mettre dans un seul document l'écriture et réécriture, le sens et son contexte, la mauvaise foi et l'abnégation, la fabrication et non la prise de photographie, le snobisme et l'élitisme, la typographie et l'équilibre, la mauvaise foi et l'abnégation (bis).
Tout ça gratuitement et en tirage limité.